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Succès des masters sur le genre : « Les étudiants ont tous une réelle sensibilité aux inégalités »

Par Lucie Beaugé Le 5 juin 2023 à 14h39

« En France, on est en retard sur les études sur le genre. Il y a encore trop souvent un discours de diabolisation », déplore Sandra Laugier, responsable du master « Études sur le genre » à la Sorbonne. À la création du master en 2019, le nombre de candidatures a surpris : plus de 200 dossiers pour seulement 24 retenus. Les années suivantes, cet engouement est resté, en témoignent des chiffres stables.

« Il existait déjà d’autres masters en études sur le genre, comme à Paris 8 ou à Lyon 2. Quand on l’a lancé à Paris 1, on souhaitait une approche pluridisciplinaire. C’est ce qui explique son succès, nos étudiants ne planchent pas uniquement sur le genre », détaille la responsable du master. La formation propose en effet cinq parcours : sciences humaines, sciences sociales, science politique, études de développement et monde anglophone.

« Ici, les cours sont poussés »

Dans une salle de classe, une étudiante prend la parole et amène un autre débat : l’encadrement très contrôlé des statistiques ethniques en France. « Chez nous, la Constitution estime qu’écrire sur les différences, c’est les faire exister », explique la jeune femme à Cécile Gagnon, enseignante originaire du Canada. Ce lundi d’avril, elle assure auprès des M1 et M2 un cours mêlant débats, théories et méthodologie pour les aider à la rédaction de leur mémoire. À terme, ces étudiants visent à intégrer le monde du travail pour y combattre les inégalités de genre, et plus largement toute sorte de discrimination.

« Ici, les cours sont poussés, on ne se contente pas d’être introductifs », se satisfait Manon, qui a auparavant suivi un master genre à Sciences Po Toulouse. « En même temps que les savoirs académiques, on aborde des sujets très concrets. La différence de socialisation entre les garçons et les filles par exemple, cela leur parle immédiatement », remarque Frédérique Matonti, responsable de l’option science politique.

Les cours et recherches sur le sujet se sont multipliés « depuis le milieu des années 2000 », poursuit-elle : « Il y a une interaction entre ce qui se passe dans l’espace public et le monde académique. La loi sur la parité en 2000 a suscité un intérêt chez de nombreuses chercheuses. Plus récemment, Me Too a permis d’enclencher des travaux sur les violences sexuelles. »

En se faisant connaître plus largement ces dernières années, les études sur le genre connaissent aussi leur lot de polémiques. « Il y a eu l’offensive du monde catholique contre ce qu’ils appellent ‘la théorie du genre’, au moment du mariage pour tous. Ces cinq dernières années, il y a une montée de l’islamophobie et des crispations autour de l’intersectionnalité », s’exclame la chercheuse. Devant la montée des discours d’extrême droite et antiféministes, Sandra Laugier constate que les étudiants « veulent s’armer de connaissances ».

« J’ai compris beaucoup de choses en intégrant ce master »

Comme la plupart des formations sur le genre, le master de la Sorbonne est accessible aux licenciés de sciences humaines et sociales, mais aussi aux élèves d’écoles d’ingénieurs, de commerce ou des IEP. Pour l’intégrer directement en master 2, les étudiants doivent avoir étudié le genre au préalable. « À la lecture de la lettre de motivation, on doit sentir une cohérence dans le projet du candidat. Les axes précis qui l’intéressent doivent être argumentés. Ce n’est pas juste un label », insiste Delphine Brochard, coresponsable du master.

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Une expérience en milieu associatif peut aussi être mise en avant, bien que cela ne soit pas un pré-requis. « Leur engagement découle souvent d’interrogations personnelles. Cela ne se traduit pas forcément par du militantisme, mais ils ont tous une réelle sensibilité aux inégalités », remarque Delphine Brochard.

Beaucoup expliquent leur orientation par une forme d’indignation et leur vécu personnel. « Née en Côte-d’Ivoire, je suis arrivée en France en 2018. Dans mon pays, les rôles sociaux genrés sont très peu remis en cause. Ma mère n’a pas pu travailler, parce que mon père ne voulait pas. J’ai compris beaucoup de choses en intégrant ce master », raconte Solange*, qui écrit son mémoire sur les guerres et les inégalités socioprofessionnelles. « Lorsque je travaillais pour une enseigne de grande distribution, la RH s’était félicitée de compter 66% de femmes dans l’entreprise. Mais la plupart étaient caissières ou femmes de ménage, je n’appelle pas ça une réussite », illustre Gabi*, étudiant dans la filière économie et démographie.

Des débouchés variés

Les diplômés en études sur le genre peuvent prétendre à des métiers de consultant, chargé d’études ou de mission, ou encore responsable égalité ou diversité. Ils peuvent agir dans les institutions publiques, les entreprises, les associations ou les cabinets d’experts. Une minorité se dirige également vers la recherche et l’enseignement. « De base, je souhaitais faire de la recherche, mais le statut de doctorant est très précaire. J’aimerais donc travailler pour une revue féministe ou dans le domaine associatif, sur des sujets tels que la santé et la sexualité, comme le fait Act Up », détaille Manon.

Intéressé par le milieu carcéral, les droits des étrangers et la prostitution des mineurs, Gabi, lui, rêve de travailler auprès de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

Pour Sandra Laugier, ses élèves « sont par définition les mieux formés » à ces postes-là. « Il existe bien des formations continues, mais le master permet vraiment d’être au fait de la recherche, on ne ressasse pas les vieilles idées. Repérer les inégalités de genre, ou d’autres inégalités, c’est tout sauf simple. On fournit des outils pour défaire les nœuds et trouver les solutions adéquates », estime Delphine Brochard. Dans le sillage d’une prise de conscience sociétale, des besoins existent dans le monde du travail.

Il faut dire que les entreprises n’ont aussi pas le choix. La loi Rixain du 24 décembre 2021 obligent notamment les boîtes de plus de 1000 salariés à atteindre le quota de 40% de femmes cadres-dirigeantes en 2030. Un défi loin d’être relevé : l’INSEE relève, dans ses chiffres les plus récents, que cette portion n’était que de 26,3% en 2019.

* Les prénoms ont été modifiés